mardi 6 janvier 2015

les courses au bonheur


Les feuilles de salade racornies regardaient tristement Jean à travers l’emballage transparent. Sans surprise, la date de péremption indiquait le lendemain. La salade devait donc impérativement être vendue le jour même. Faute de quoi elle serait jetée.

Elle était pourtant encore à prix plein, malgré l’heure avancée.« Pfff, c’est quand même des radins dans cette Halbfatt... », se dit-il. Dans la plupart des supermarchés, les employés faisaient une ronde, une heure avant la fermeture, et apposaient sur les produits en sursis un autocollant orange, jaune vif ou rouge, afin de mieux attirer les clients.  Les marchandises qui risquaient de dépasser la fameuse Datafatt – la date de péremption – pouvaient désormais se vendre à moitié prix, voire au quart de prix.

Ce système attirait une clientèle d’habitués : étudiants et fauchés bien renseignés. Étonnamment peu de mères de famille nombreuse, pourtant la cible de ce type d’affaires. -Elles étaient certainement en train de préparer le souper pour leur tribu affamée. Elles étaient remplacées dans les allées du supermarché par des dames élégantes, dont le manteau n’était guère mité, mais dont le visage trop fixe laissait supposer un âge qu’il n’affichait plus depuis 20 ans, voire 40 ans...
« Les riches aussi ont de la peine à tourner avec leurs AVS », s’était dit Jean la première fois qu’il s’était retrouvé à la caisse derrière ces dames et leurs achats bariolés de rouge, orange et jaune vif.

(to be continued)