Je m’enfonce, je
m’enrobe dans le petit coton des jours qui passent en défilant leur petite
routine. J’en deviens un petit zombie décousu mal recousu.
Parfois j’émerge.
Aujourd’hui suis
allée manger à la Josefwiese, un endroit qui sur le papier n’aurait rien pour
être mentionné, un carré de parc, une allée avec des peupliers, des colonies de
poussettes et de mères plus jeunes que moi, aux yeux moins plissés que les
miens. Mais in situ, le tout a un charme quasi cosmique, comme si le temps s’y
était arrêté.
C’est peut-être
l’attrait du viaduc, où filent parfois les trains en faisant trembler les
boutiques bobo cises en dessous. La coulée mobile s’oppose aux colonnes des
peupliers, le tout sur fond vert du carré. Et la clé est de savoir que les
trains poussent jusqu’à l’aéroport. En somme, ce parc sonne comme la
possibilité d’une fuite.
Je ne sais.
C’est toujours que j’y suis dans un ciel bleu éclatant pommelé de nuages.
Peut-être là uniquement la clé de son charme. Je devrais tenter le coup un jour
de novembre plombé, sourd comme une chambre de motel emplie de moquette ou
triste comme un couloir d’hôpital.
Bref, je m’y
assois et j’ouvre mon livre. A ma droite, des groupes jouent à la pétanque, tout
âge mélangé. Un seul répond à ma conception du véritable pélotiste. Un vieux
petit monsieur râblé, au ventre proéminent, un Méridional, ça se voit à sa
casquette. Un pro de la pétanque, on le devine au mètre qu’il promène partout
pour mesure la distance qui sépare les boules du cochonnet. Il joue avec des
jeunes gens, qui ont garé leur vélo pas loin. Une jeune fille complète le
groupe.
Je me demande si
ces gens se connaissaient avant d’entrer dans le parc. Ou s’il suffit d’y
arriver avec sa panoplie, ses boules et aussi d’entrer dans la société secrète.
Si c’est le cas, j’envie profondément cette socialisation facilitée, que je
n’ai vue jusqu’alors qu’auprès de rombières à teckel.
A ma gauche, un
tintamarre ne se réduit pas. Je ne comprends rien à la conversation, cela doit
être du suisse allemand, mais celui qui parle ne doit pas le maîtriser
complètement. Il lance les sons comme d’autres des bombes, la langue n’est plus
qu’éclatement sonore. Il doit parler le dialecte comme il parle sa langue
maternelle, une langue asiatique si j’en crois ses yeux bridés.
Mais son teint
est plus cuivré que les Asiatiques du Sud-Est, et à sa manière de s’asseoir
accroupie derrière le peuplier, il me fait penser aux chauffeurs de taxi d’Asie centrale qui peuplaient les rues de
Bichkek, se délassant ainsi dans l’attente des clients.
Il fait une
pause, mais invective toujours les joueurs de ping pong qui ont pris sa place.
C’est visiblement un tournoi, mais le groupe disparate attire les regards. Il y
a un chauve à chemise lamée (oui lamée, comme dans une soirée disco) qui
scintille au soleil à chacun de ses mouvements. Il parle parfois en français,
parfois en dialecte. L’autre joueur est de dos et n’a rien de spécial. A côté,
un autre Asiatique, plutôt replet et à la coupe de cheveux stylé (je dirais une sorte de banane nord-coréenne), attend son
tour, à côté d’un petit garçon basané. Quel groupe.
« Kommunistich,
du » je comprends enfin un mot de la diatribe du chauffeur de taxi
accroupi. Les autres répondent. « ja
aber es waren Kommunisten im Nord Vietnam » s’entête-t-il à tue tête. Je m’étais trompée: il doit être vietnamien. Une fois l’accusation lancée (à qui est-elle
destinée?) il se calme. Le groupe continue de jouer au ping pong. Parfois une
balle tombe à mes pieds. On vient la ramasser.
Le train sur le
viaduc repasse. Pas besoin de le prendre pour s’évader.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire