dimanche 4 septembre 2016

Milo Rau ou le théâtre documentaire (au Theater Spektakel)



Longtemps je n’ai pas aimé le théâtre.  Je n’arrivais pas à me projeter dans l’histoire avec ces personnages qui prenaient chair devant moi. Trop proches, trop réels.
Tout était présenté, déjà orchestré et je ne pouvais guère y ajouté quelque chose.
Puis je découvre le théâtre contemporain. Ses silences, ses décors inexistants. 
Et je suis séduite. Car devant ce silence et ces lacunes, le spectateur doit s’engager, se projeter, participer. Et c’est ainsi que le théâtre devient proche de la poésie. 

Encore plus fort: j’ai découvert le théâtre documentaire, qui flirte avec la réalité. Chez Milo Rau, les comédiens racontent posément leur vie, et cela trouve résonance en nous de la même manière qu’un drame inventé de toute pièces. Cela tient de l'alchimie. Dans la réalité, j'aime beaucoup écouter les gens me raconter leur vie, mais l'entrecroisement de la vie des comédiens dépasse tout cela. Car il y a des connections, des correspondances, qui font qu'écouter ces comédiens raconter touche à l'universel.
Correspondance géographique, car tous partagent l'exil, l'éloignement d'avec les proches, et lé retour ponctué de deuil. Mais également correspondance dans le temps: comme dirait Tchekhov , "rien n'est passé". Tout se répète: Et les champs de ruine antiques où a joué l'acteur grec répond au champ de ruines que devient la ville natale de l'acteur kurde.
Le retour au pays est certes possible, mais c'est un chemin pavé de tombes. Les cimetières se succèdent, que ce soit en Syrie, en Roumanie où lé père est incinéré, oû en Roumanie. Où on découvre un cimetière antique à côté de la maison familiale, affleurant sous le terrain. Mais tout est ruiné, littéralement . La crise arrête le chantier.
Cés récits de vie portent encore sur le rôle du théâtre dans la vie de scomédiens. 
Si le théâtre peut être salvateur, à l’image du comédien syrien qui se sauve par une boutade théâtrale, il est aussi source d’arrestation et d’éloigenement d’avec ses enfants.

C'est de la sélection de ces acteurs, dont les vies se répondent, que naît la sensation que l'homme partage un destin sur cette terre, qu'il est au centre. Et en tant que spectateur, nous avons notre part de responsabilité pour faire vivre, pour transmettre cet humanisme. Écouter l'autre est primordial, et c'est cette écoute qui rend possible toute histoire.
Et c'est pour cela que le spectateur par son écoute peut investir l'histoire, et le théâtre devient poésie.

Autre point à relever : la réapparition de la fiction.

J’ai beaucoup aimé quand soudain chez Milo Rau, l’articulation avec la fiction se fait. Le  théâtre documentaire redevient du théâtre : quand la comédienne roumaine qui a joué Médée, et lé comédien qui a joué Jason sur un champ de ruine échangent leur réplique.
Mais une amie me dit : qu’est-ce qui te fait croire que c’est de la fiction ? Ces scènes ils les ont déjà jouées, cé sont juste les comédiens qui racontent leur vie, à nouveau. Il est vrai que le dialogue entre les deux comédiens intervient après cet aveu de la comédienne: "ai-je été une mauvaise mère?". 

Le doute est permis, mais j’aime l’idée que soudain tout décolle. Et qu'on replonge dans la fiction. 


samedi 3 septembre 2016

Vertige


Certains d’entre nous se posent comme des observateurs, refusant d’être maîtrisés par le destin. Encore faut-il se demander si la notion de destin a encore un sens dans nos sociétés actuelles, où le culte de la course au bonheur écrase tout. Il faut être victorieux, se complaire dans le bonheur, et tant mieux si nous consommons.
Nous autres, nous préférons maîtriser notre trame narrative plutôt que de se laisser aller à celle proposée par la société. Nous ne voulons pas forcément arborer ce sourire niais de consommateur, acheter pour exister, comme le disait déjà Pasolini (cité par Milo Rau).
Nous ne voulons pas forcément des enfants ;  nous ne voulons pas forcément nous mettre avec un homme bon mais con, nous refusons le modèle de bonheur imposé par la société, cette dictature préformatée.
Alors oui nous avons parfois  l’impression d’être en dehors de nos vies, de ne pas essayer. Mais nous sommes une résistance.
Et nos essais portent sur des aspirations plus grandes que nous ne savons même pas nommer. Nous sommes touchés aux larmes au théâtre ou par Tchaïkovsky. Et nos doutes nous nourrissent.
Nous avons, comme tout raconteur d’histoire, un savoir de pythie. C’est de là que vient cette retenue à s’engager devant une histoire avec un autre, car déjà nous envisageons sa fin, ses tribulations, avant même qu’elle ne soit née. Nous n’avons pas oublié que le destin peut frapper à tout instant, et pour nous en préserver, nous observons.
Car nous refusons d’être réduits à des personnages, si la vie est une histoire ou une pièce de théâtre. Nous observons.