mardi 29 août 2017

Le mur du cimetière

Elle remarqua les légères corolles  qui dépassaient du mur de tuf.  Des pétales bleues, en clochelle, on aurait dit des campanules.  Mais leur couleur était délavée, presque mauve. Elle voulut s’approcher, d’ailleurs c’était possible, on avait enlevé les piquets et le fil de fer qui clôturaient les moutons. Mais son élan se fracassa contre la soudaine réalisation de ce que retenait le mur de tuf.

Le cimetière. C’était le mur du cimetière, où entre les interstices du tuf  s’envolaient les fleurs bleues. Et le carré des enfants. Il y avait une fille morte d’un cancer dans les années 70 et des cas de morts spontanées du nourrisson. Certaines tombes portaient des inscriptions illisibles, ET guères de fleurs. D’autres étaient nappées de jouets, de fleurs, d’intentions et de regrets.
Mais toutes saississaient au cœur par la petitesse des tombes.

Elle se rappella ce que sa mère lui avait dit. Que les enfants étaient enterrées dans des petits cercueils tout blancs. Des petites boîtes. A 15 ans, à force de trop écouter « La Jeune fille et la mort », elle avait planifié son enterrement. Elle espérait pouvoir être encore assez petite pour avoir droit à un cercueil blanc. Elle porterait sa robe blanche que sa marraine lui avait achetée à Benetton, dont le corsage était surpiqué de dentelle anglaise. Et puis bien sûr, on jouerait le quatuor à cordes lors de la messe.  A l’époque, elle n’avait guère songé aux fleurs, son intérêts et ses connaissances en botaniques étaient encore en jachère. Et ce malgré son romantisme exacerbé.

Elle était toujours là, aux franges du pré qui bordait le cimetière. « C’est comme si les enfants morts avaient nourri les fleurs ». Un bon terreau. Ou alors s’étaient transmués dans un autre règne, végétal ? Les frêles clochettes mauves, si poétiques dans leur élan vers le ciel.  Si broyables, en un seul geste, le poing fermé, tout serait fini, leur fil redéployé à nouveau coupé.

Mais elle n’avait pas envie de terminer cette beauté. C’est ce genre de signaux que lui envoyaient le monde qui lui permettait de tenir. Au milieu de la majorité médiocre, des gens qui justement écrasaient tout de leur banalité, sans rien remarquer, sans se gêner. Les gens qui prenaient toute la place. Et qui l’asphyxiaient.

Plus tard, elle dîna au milieu de photophores blancs, élégants mais peu lumineux. Une bière écossaise, amère mais pas trop, éclairait nettement mieux la soirée. Tout comme la lune, qui croissant, lui faisait l’honneur de déployer un D dans le ciel, comme son prénom. ET cela la rassénéra un peu. Plus besoin de songer à quoi porter pour son enterrement. Mais peut-être la question des fleurs ….



Aucun commentaire: