dimanche 16 novembre 2014

Gym Club de Massimo Furlan: comment se rincer l'oeil tout en réfléchissant au rapport au corps

Voilà si j'avais deux neurones je vous dirais de courir voir Gym Club de Massimo Furlan pour ces raisons: on y rigole très fort en y voyant des énergumènes s'échiner sur des exercices ridiculisants et ridicules et à la fin, on est récompensé de nos peines de spectatrice esseulée par la vision de corps masculins en démonstration devant nous en slip, luisant de sueur, diverses anatomies pouvant plaire à chacune.
En gros, une manière culturelle de se rincer l’œil.

et je ne vais pas cracher sur cette analyste, car cette dimension rocambolesque et de monstration participe complètement au spectacle.

Mais à bien y regarder, il y a plus. Cette pantomime ne prête pas qu'à rire, et d'ailleurs le rire jaune n'est jamais loin.
Subtilement, tout est biaisé. Et cela commence dès le début. On y voit un prof de gym en délicieuses cuissettes seventies ainsi qu'une virago tendance est-allemande pourvue néanmoins d'un corps de sylphide arpenter la salle de gym.
Le spectateur est déjà mis dans l'ambiance: assis sur un banc de gym, il replonge avec délice - ou effroi - dans les affres du cours de gym. Sera-t-il- encore une fois le dernier choisir pour intégrer l'équipe de basket?

 La prof de gym blonde ajuste son chignon, lance un regard sévère à travers la salle, Elle tend le doigt, impérieuse. Et soudain, les spectateurs s'élancent sur scène. Parmi le lot, figure mon voisin. Le temps d'un instant, je crois que c'est vraiment des spectateurs et j'attends le moment où ils vont se rasseoir à leur place, le moment où entreront en scène les véritables acteurs. Mais ce ne sera jamais le cas.

Les acteurs se cachaient dans le public, waiting in disguise the moment. Le moment d'entrer en scène. Mais le soupçon reste vivace : peut-être ce ne sont que des spectateurs. Et cette indécision prend une tournure tragique, quand la seule femme (une vieille dame aux cheveux blancs dotée pourtant d'agilité et de souplesse, on apprendra plus tard que c'est une ancienne chorégraphe) tombe, victime d'un malaise, après un exercice trop soutenu. Elle est rapidement évacuée, sur un tapis de gym bleu, vers les coulisses (le local des accessoires de gym). Et le doute s'inscrit en soi, lancinant: et si ce n'étais pas un malaise simulé, mais bel et bien un accident? le désarroi des autres acteurs plaide en ce sens. Mais déjà on est ailleurs, contemplant d'autres exercices physiques, puis le défilé des hommes suitants en sous-vêtements.

A la fin, le côté acide du rapport au corps, la course vers la perfection, tombe dans le surréaliste. Une danse de deux êtres surdimensionnés, trop musclés pour être romantiques, et pourtant touchants. Quelle place donner au corps dans notre société? Certes, nous sommes tous ridicules quand nous nous adonnons à ces exercices destinés à développer nos muscles. Et pourtant nous tendons tous à une certaine idée de perfection, la fermeté de muscles bien développés et la minceur. Que reste-t-il à côté? Ne sommes-nous que des corps en souffrance? et certes nous les spectateurs, nous rions d'un coeur franc, moqueur, au spectacle des exercices ridicules auxquels s'adonnent les apprentis bodybuilders. Mais ce rire se tinte de jaune au fil de la pièce. Que reste-t-il en dehors de nos corps? Ne sommes-nous qu'un amas de muscle? quelle valeur donnons-nous à l'effort et à la sueur? Le mérite de Massimo Furlan est de nous faire réfléchir à notre propre rapport au corps, et ce par le biais d'une fable amusante, dont les ressorts grinçants nous font mal à la mâchoire à force de rire, rire d'un air gêné, car c'est de nous-même finalement que nous nous moquons.


spectacle vu au festival de la Cité à Lausanne, dans la salle de gym du gymnase de la cité.

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