dimanche 4 janvier 2009

Perchée sur la houle

Une ville échouée au sommet d'une vague grise, écumante...
Autour d'elle, c'est la houle de collines verdoyantes couronnées de villages. Mas là soudain, la mer glauque se fend, comme sous l'effet d'un hypothétique bâton - où est Moïse dans cette ville consacrée à Michel et à Nicolas ? - la ligne d'horizon ploie et devient verticale...
Prise dans une gangue de pierre, la ville molasse dégringole en égrenant ses chapelets de maisons biscornues, répondant dans un diminuendo silencieux aux lignes sinueuses de la Sarine...
Pierre grise qui mine le moral en hiver et rend la ville...oui, froide et immuable.
La Sarine a beau coulé depuis huit siècles et demis, en boucles quasi circulaires, mais n'est-elle pas un serpent enserrant sa proie ? Et la ville respire à peine. Le liquide coule à foison pourtant ; il craquelait les mains des tanneurs de l'Auge. Puis leurs rejetons sont montés auprès de la flèche de la cathédrale-bergère qui garde son troupeau minéralisé : là, la ligne redevient plate, sur ce haut plateau où fleurissent les quelques pierres classicisantes des hôtels particuliers. Là les descendants des artisans portent désormais fraise empesée en prenant une pose grave dans des tableaux vernis par des siècles d'ennui. Ils tirent leur morgue - et leur richesse- non plus de la rivière serpentine qui teignait leur plus beau drap, mais des flots de lait ruisselant d'alpages lointains... Tout ce fromage qu'ils échangent contre le sang de braves, partis au loin se battre pour d'autres...
La Sarine tourne toujours autours des falaises, en creusant silencieuse la pierre... Travail de sape ?
Mais ne croyez pas pour autant que la gangue reforoidie ne recèle de trésor. Le grain poreux de la molasse s'agrippe à notre peau, la lisse pour la rendre plus fine... Nous sommes alors atteints par la douce sonorité qui s'exhale de cette ville pétrifiée...
La Sarine coule, gronde parfois, fati ruisseler ses ondes, qui ébranlent les fondations en se propageant - de la même façon que le sang réchauffe un corps.
... Une ville pétrifiée, qui senvole par la grâce de la musique : oui, musiques de Fribourg, notes aériennes et vaporeuses, se déclinant dans un kaléidoscope de couleurs qui réunit ouvriers et patriciens sous une même bannière. Celle du chant ou de la fanfare, la bannière qu'on agite en même temps que le balancement dudais, lors du trépignant défilé qui transforme les rues en un ruban fiévreux de prière... depuis tant de siècles, les pierres se taisent, mais les hommes font sourdre de leur âme la légende sacrée de Fribourg, celle de la musique où le chant des moniales répond aux accords jazzy d'un pianiste au clair de lune. Et l'on se rend finalement compte que la molasse, loin d'être une prison, forme une excellente acoustique.

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